De Crémieu dans l’Isère ?

La ville de Crémieu (©Crémieu).

Les racines d’une famille sont, et c’est une évidence, le lien fondateur par lequel le groupe familial se reconnaît comme une lignée. L’affiliation est primordiale puisqu’elle aboutit à appartenir à cette lignée. Au sein de cette parentèle, un travail de mémoire important est effectué pour la consolider et l’ancrer dans une permanence avec sa mythologie propre et ses héritages symboliques. Je vous propose ici d’analyser la mythologie de la famille Crémieu (sans x !). En effet, je ne prétends pas que l’ensemble des porteurs du nom de famille Crémieu se reconnaissent dans la même histoire.

Donc, ma famille descends de Théodore Crémieu, le grand-père d’Etienne. Il est couramment admis que le patronyme fait référence à la ville de Crémieu dans l’Isére. Cette histoire est également portée par Etienne.

Dans « L’Onomastique juive du Comtat Venaissain » de Simon Seror, l’auteur souligne le

« changement [qui] se dessine au XVIe siècle, changement qui va radicalement transformer la structure de l’appellation des Juifs de Provence et qui aboutira, au XVIIe siècle à l’établissement d’une appellation « unique » bien différente des appellations « doubles » des siècles précédents. »

En effet, jusqu’à cette « cassure », les juifs portaient un double système onomastique. En premier lieu, une appellation juive formée du nom personnel de l’individu, généralement biblique, suivi du nom du père, lui aussi biblique. En second lieu, « une appellation courante française, qui les identifiait dans le milieu français environnant », pouvant être composé d’un prénom juif (ou français) suivi du nom du père, ou d’un nom de métier, voire d’un nom de lieu. L’aboutissement de cette évolution, au XVIIIe siècle est la disparition du nom juif (et hébraïque). Ou plus exactement, il est confiné dans l’espace rituel. Simon Seror illustre cette évolution par l’anecdote suivante :

« Il est intéressant de constater que lorsqu’un important délégué de la Terre Sainte, le pieux rabbin Haim Joseph David Azulai, visite le Comtat en 1755 et 1777, et rédige son journal de voyage, en hébreu naturellement, il cite les juifs du Comtat selon leurs noms courants : Joseph de Milhau, Abraham de Rocamartine, Samuel de Lates (Azulai 38), Isaac de Monteil, Michel Roget (Azulai 100) et non selon les noms juifs rituels qu’ils avaient aussi certainement. »

L’usage se cristallise et les juifs du Comtat finissent par adopter les habitudes françaises du nom et du prénom.

« La liste des patronymes des Juifs du Comtat aux XVIIe et XVIIIe siècle est assez limitée. Voici les : Abrao, Alphandérie, Asrruc, de Beaucaire, de Bédarrides, de Bèzes, de Carcassonne, Cassin, de Cavaillon, Cohen, Crémieu, Cresques, Delpuget, de Digne, Gard, de Laroque, Lattes, Lévi, de Lisbonne, Lunel, de Meyrargue, de Milhaud, Mossé, de Monteux, Naquet, de Perpignan, Ravel, Roger, de Roquemartine, Rouget, de Saint-Paul, de Sassia, de Vallabregue et Vidal. (Simon Seror) »

Dans cette liste, on identifie facilement des lieux, Carcassonne, Cavaillon, Lisbonne…  Mais voilà le problème. Les noms de lieu sont précédés de la préposition « de ». Celle-ci a eut tendance à disparaître avec l’application du  décret du 20 juillet 1808 qui fait officiellement adopter des noms de famille aux Juifs de France car elle rappelait trop la particule nobiliaire. Il faut également ajouter des formes habituelles d’adaptation locale et d’influence culturelle. C’est ainsi, fait remarquer Jean-Claude Cohen, que les Lion deviendront des Lyon. On peut aussi parler des Delpuget, le Puget étant un monticule en provençal. Et puis il y a le cas Crémieu… Simon Seror souligne que le nom est porté uniquement à Carpentras et qu’il y est un des plus courants. Certes, il y a bien eu une communauté juive à Crémieu en Isère (au XVe siècle), mais le patronyme Crémieu n’est jamais précédé de la préposition « de ». Jean-Claude Cohen poursuit :

« Ce qui nous laisse à penser que les Crémieux ne sont pas plus de Crémieux que les Lion de Lyon ou les Cahen…de Caen. »

Il ajoute cependant qu’il voit un phénomène intéressant :

« On rencontre beaucoup de Crémieux à Carpentras, on ne rencontre, à Cavaillon, que des Crémy, Crémuy ou des Carmi. Et ce sont bien les mêmes qui, nés Crémieux à Carpentras, vont se marier Crémy à Cavaillon. Il y a vraisemblablement là une origine Hébraïque (« le jardinier » ?). »

Simon Seror propose une autre explication. En effet, il remarque que Crémieu paraît dans les textes hébreux sous la graphie « Carmi (nom de personne biblique) » et qu’il n’y a jamais de transcription hébraïque, contrairement aux autres noms de lieu portés par les Juifs du Comtat. Aussi il pense que nous nous trouvons face à un autre procédé. En effet, parfois, les noms de lieu français étaient « interprétés » sur la base d’un rapprochement phonétique avec un mot hébreu d’un nom biblique. Carmi, c’est le vigneron et Kerem la vigne.

J’ai conscience que ces explications font voler en éclat la mythologie familiale. Si j’ai l’excuse d’être le petit-fils d’Etienne, je ne suis pourtant pas le cadet de la famille (on sait combien les cadets ne respectent rien). J’espère que vous me pardonnerez quand même un peu.

 

Sources :

Simon Seror, « Onomastique juive du Comtat Venaissin » , Revue Provence historique , T. 42 , 169 , 1992.

Jean-Claude Cohen, Les communautés juives du Comtat Venaissin, Chez l’auteur, 2000 et en ligne : http://ngj.vjf.cnrs.fr/BdeD/jccohen/jc_cohen/Liens/presentation_cohen.htm

 

Auteur : Crémieu-Alcan

Professeur en collège, Docteur en Histoire. Travaille sur les usages pédagogiques du web 2.0. Anime la classe Médias du collège Dupaty (une classe PEM) Site Perso : miscellanees33.wordpress.com, Les100livres.wordpress.com

6 réflexions sur « De Crémieu dans l’Isère ? »

  1. pour la petite histoire, nous avons été appelé Lisbonne depuis le départ et un de mes Ancêtres à acheter une particule « de »… il l’a gardée 10 ans et puis la retirée vite à cause de la révolution française, par peur de se faire couper la tête… et l’origine de Lisbonne vient bien du Portugal, ils arrivaient de Lisbonne chassés par l’influence d’Isabelle la catholique… (Tout ceci selon des écrits ancestraux)….
    Encore très interessant… une petite question pour mes souvenirs, La ville ou le village (désolée mes souvenirs d’enfants me jouent des tours), cela vous parle-t-il ??? des cousins de mon Père y habitaient, serait ce le côté Crémieu ???

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  2. je me rends compte que j’ai omis de donner le nom de ce lieu : La Rochette… je recherche quelle partie de la famille habitait là-bas… j’y suis allée plusieurs fois petite…. serait ce du côté d’Etienne ou dois-je chercher ailleurs ??

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    1. Plutôt une opinion : ce sont les cadets qui refusent en général une habitude (mentale, organisationnelle..) D’autant qu’ils sont habituellement plus jeunes et donc plus aptes au changement….

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